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 Le service, inégalitaire depuis longtemps

L'égalité au sein d'une classe d'âge est un substitut d'égalité, soit, mais c'est déjà ça. Il faudrait donc au moins respecter celui-ci à défaut de respecter le vrai principe d'Egalité.

Alors dans les faits?

En 1996, lorsque la professionnalisation des armées et la réforme du Service National avaient été annoncées, de nombreuses réflexions ont été menées.

Il y avait alors unanimité sur ses dérives et la difficulté de plus en plus grande qu'il avait à respecter ses propres principes fondateurs.

Chacun y allait de son petit mot pour dénoncer ces dérives: «Ses principes fondateurs, l'universalité et l'égalité, sont chaque jour moins respectés.» [35], il y a «des inégalités réelles devant l'obligation», ou encore, "[L'équité], reconnaissons-le, n'a pas toujours été la caractéristique la plus assurée de l'application de la conscription ces dernières années» [36] etc.

En clair: même au sein d'une classe d'âge, il n'y a pas d'égalité du tout!

Les rapports parlementaires, les mêmes que ceux ayant provoqué le récent scandale sur les prisons, sont eux aussi très clairs: «Le constat effectué dans la première partie de ce rapport montre le caractère profondément inégalitaire du service national tel qu'il existe actuellement", "Le développement de certaines formes civiles du service national a même fait, paradoxalement, de celui-ci un des exemples les plus achevés de l'inégalité sociale...» [SEG96].

Enfin, d'autres ouvrages font le même constat: «Les profondes inégalités qui gangrènent le Service National ne sont jamais que le reflet des inégalités et des fractures de toutes sortes qui divisent la société française» [QSJ, p92]

On pourrait en citer des pages entières.

Non seulement, il n'y a pas d'égalité au sein des classes d'âge, mais en plus, les inégalités constatées sont favorables au gens déjà favorisés par ailleurs ! Où l'on est tenté de parler de fracture sociale...

Cette déclaration de Jacques Boyon, faites peu après qu'il ait quitté ses fonctions de secrétaire d'Etat à la Défense en 1989, résume bien le jeu auquel on joue aujourd'hui: «le service national n'est plus égalitaire. On essaie de démontrer qu'il est égalitaire. J'ai moi-même essayé de le démontrer pendant deux ans. Je dois dire que je n'étais pas très convaincu de ce que je disais moi-même.» [37].

Si, déjà en 1989, le secrétaire d'Etat à le Défense reconnaissait avoir menti pendant deux ans (car il s'agit bien de cela !), que penser de tous les discours que l'on nous tient et où l'on essaie de montrer qu'il y a encore quelque part, en cherchant bien, un principe d'égalité à respecter?

Essayer de démontrer qu'il y a encore de l'égalité quelque part, alors qu'ils n'y croient pas eux mêmes, c'est exactement ce que font aujourd'hui nos responsables politiques, usant d'artifices qui font sursauter: égalité au sein des classe d'âge, égalité devant l'obligation (ça ne veut rien dire, mais ça sonne très bien) [38] etc.

Du livre blanc de 94 aux récentes déclarations de certains, en passant par tous les rapports parlementaires, tous les ouvrages ou études effectuées sur le service national, le constat est unanime: l'égalité n'existe plus. Mais on continue d'essayer de le faire croire.


 Transitions et accentuation des inégalités

Avec la professionnalisation et sa période de transition, les inégalités s'additionnent à n'en plus finir: rupture du principe constitutionnel d'égalité, accentuation de toutes les inégalités constatées il y a déjà des années dans la mise en oeuvre de la conscription, inégalités nouvelles...

Ces problèmes ajoutés par la transition ont été la source de grandes inquiétudes pour ceux qui y attachent une importance, et elles ont fait l'objet de multiples avertissements [39], notamment de la part de la mission d'information de l'Assemblée Nationale:

«Enfin, [la mission] a formulé les réserves les plus formelles tant sur la durée que sur les modalités de la période de transition de six années entre le service national actuel et ses formes nouvelles. [...] Il en résultera des inégalités de traitement qui ne sont que trop aisément prévisibles et que la disparition programmée du service militaire ne fera qu'aviver. Il a donc semblé à la mission que ces perspectives devraient logiquement conduire à une réduction de la période de transition.» [SEG96]

Ce n'est pas compliqué à comprendre: l'armée ne souhaite incorporer qu'environ 50% des sursitaires. Partant de là, comment les sélectionne-t-elle? Aucun critère précis n'a été défini, afin, justement, de pouvoir continuer officiellement à maintenir l'illusion.

On pourra ici parler de discrimination sur l'information. Car, puisque l'armée doit «choisir» un sursitaire sur 2, celui qui aura accès à l'information ou au piston, donc généralement quelqu'un de plutôt favorisé [40] sera celui qui y échappera. Cette forme de discrimination existait déjà, mais la réduction des «besoins» des armées l'accentue terriblement.

Le récent drame de Poligny [41] est une illustration de cet état de fait: un jeune ouvrier, a tenté de se suicider par peur de perdre son emploi à l'issue de son incorporation. Il aurait pourtant dû bénéficier des mesures pour titulaires de CDI, annoncés en grande pompes par A. Richard devant l'Assemblée Nationale. Mais il n'était pas au courant de toutes les ficelles.

Un autre exemple simple : aujourd'hui, de plus en plus de gens reçoivent leur feuille de route alors qu'il n'ont jamais fait les «trois jours». Ils sont en quelques sorte convoqués par surprise, une semaine avant l'incorporation. Quelle partie de la population va être le mieux à même de réagir correctement à une telle situation?

Alors qu'une partie «favorisée» de la population s'échange les «trucs et astuces» par Internet, du report pour étude bidon à la lettre au député, en passant par le report L32 factice et le meilleur moyen de se faire réformer P3/P4, des milliers d'autres sursitaires se trouvent limités aux conseils de leur BSN, et constituent le lot de ceux qui partiront.

Néanmoins, aucun critère net n'est défini, et il y a une bonne raison: cela permet de continuer à faire «comme si» il y avait encore égalité.


 Mesures CDI: le coup de grâce

Le 21 Juin, à la satisfaction générale de nos élus, M. Richard annonçait que désormais, tous les titulaires d'un contrat de travail de droit privé bénéficieraient d'un report d'incorporation . Un tel report, aujourd'hui, pour les titulaires de CDI, équivaudrait à une dispense [42] (le conditionnel est employé car ces mesures sont plus ou moins appliquées, selon les préfectures).

Cette mesure change la donne, il faut bien le souligner: les titulaires d'un CDI sont dispensés de service national. Ceux qui restent vont le faire à leur place.

Cette officialisation d'une discrimination sur critères socioprofessionnels, présentée comme une mesure d'aide à l'emploi est très contestable, étant donné que le Service National est généralement considéré comme un frein à l'insertion professionnelle, quelle que soit la situation des jeunes gens [43]. Par ailleurs, elle exclue d'office une population de gens déjà défavorisés:

  • CDD: ils obtiennent un report de la durée de leur contrat. A l'issue de ce report, ils sont incorporés, alors qu'en leur laissant quelques mois, ils pourraient mettre à profit leur expérience pour trouver un autre contrat, ce qui n'est plus le cas au bout de dix mois de service. Le cas des intermittents du spectacle est symptomatique : après un service national de dix mois, ils perdent leur statut intermittent, et doivent tout recommencer à zéro pour le gagner à nouveau. On ajoute de la précarité à la précarité.
  • Etudiants: Les étudiants ayant choisis les cursus les plus longs doivent interrompre leurs études. Dans certains cas, l'interruption de dix mois se transforme en arrêt définitif (impossibilité d'obtenir une nouvelle allocation après interruption, par exemple). Des diplômés potentiels se transforment en non diplômés.
  • Chômeurs: Le cas le plus caractéristique de l'inégalité engendrée par ces nouvelles mesures. Des gens rencontrant des difficultés d'insertion sont purement et simplement ignorés par une mesure prétendant «favoriser l'insertion professionnelle des jeunes». Pire: un jeune homme en recherche d'emploi bénéficie parfois de mesures d'aide à l'insertion, de formations. Il poursuit ses propres démarches. Tous ces efforts sont finalement ruinés par un départ sous les drapeaux!
  • Fonctionnaires: ceux que l'on présente souvent comme des privilégiés ont bien du mal à comprendre les raisons de la discrimination mise en place. Ils ont un emploi; ils ont les mêmes contraintes familiales et financières que les CDI (une femme, un appartement, un prêt). Alors? Ils ont la garantie de l'emploi, répond le gouvernement [44]. Or, les CDI ont aussi une garantie de l'emploi, en théorie, puisque la réforme de 97 introduit l'obligation pour l'employeur de réintégrer les jeunes hommes qui partent sous les drapeaux [45]. Et le gouvernement ne s'est pas privé de le rappeler il y a quelques mois.
    Si il y a une cohérence dans tous cela, si il y a effectivement une volonté de favoriser l'emploi, l'égalité, la justice, nous la cherchons encore; Ils sont incorporés pour ne pas désorganiser les armées? Mais lorsqu'on retire un professeur à sa classe de terminale deux mois avant le baccalauréat, on désorganise l'éducation nationale ; décidément, où est cachée la cohérence?
  • Et tous les autres: ce serait trop facile. Mais le nombre de statuts existants pour de jeunes hommes entrant dans la vie active est énorme; freelance, compagnon du devoir, professions libérales, contrats particuliers n'entrants pas dans le cadre du CDI (avocats), la liste est longue et nous ne la connaissons probablement pas dans son intégralité. L'ensemble de ces gens ont pourtant des situations très similaires à celles des CDI, et sont exclus des dernières mesures. Pourquoi?

Ironie de la politique: alors que depuis le début, le Collectif « SansNous » se bat contre une inégalité constitutionnelle injustifiée, le gouvernement répond en créant une nouvelle inégalité flagrante, sans doute plus grave (car basée sur des critères sociaux).

Il n'est pas dit que les sursitaires laisserons les choses en l'état sans rien faire.


 Conlusion

  • Rupture incontestable du principe constitutionnel d'égalité;
  • Service National «gangrené» par les inégalités, «exemple les plus achevé de l'inégalité sociale», depuis longtemps déjà, et mainte fois dénoncé pour ces dérives;
  • Inégalités fortement aggravées par la transition, depuis 1996;
  • Inégalités favorisant les gens déjà favorisés par ailleurs, officialisées par une mesure exemptant de fait les titulaires de CDI.

Il n'est guère plus que les responsables politiques à essayer d'entretenir l'idée qu'il y a encore de l'égalité quelque part, allant même jusqu'à dire qu'il faudrait continuer les incorporations pendant 2 ans encore, par soucis d'égalité, usant d'artifices rhétoriques et de petites phrases qui n'ont d'autre valeur que celle de sembler raisonnables et pleines de bon sens.

Ne pouvant plus se prévaloir d'aucun principe, et surtout pas des principes d'égalité et d'universalité, allant même totalement à l'encontre de ces principes, il ne reste rien pour justifier la prolongation du service national pour deux ans encore.

Le Collectif « SansNous »

  Note 35     Allocution aux armées prononcée par le président de la République à l'école militaire vendredi 23 février 1996.
  Note 36     Allocution du Ministre de la Défense, Monsieur Alain RICHARD, à l'Assemblée Nationale (Réforme du service national), jeudi 18 septembre 1997.
  Note 37     Jacques Boyon, exposé du 29 novembre 1989, publié dans «Défense, Armée, Nation», no 56, p17.
  Note 38     Cela consiste à dire qu'il faut que tout le monde ait l'obligation de faire son service national. Si vous êtes nés après 79, vous êtes obligé de le faire (un jour), si vous êtes nés avant, vous êtes aussi obligé de le faire (dix mois), et vous êtes donc à égalité devant l'obligation...
Plus précisément, tous les gens nés avant 1979 «auront à faire face à l'obligation». Sauf qu'au final, pour 50% de privilégiés, cette obligation se résumera aux «trois jours». Mais tout le monde est égal devant l'obligation.
C'est joli et ça sonne bien, mais en pratique, l'égalité devant l'obligation est suivie d'une inégalité complète et avérée quant aux conséquences de cette obligation, et c'est bien cela l'important.
  Note 39     «Par ailleurs, il convient de ne pas sous-évaluer le sentiment d'injustice que ressentiraient les membres de la classe 1998 par rapport à ceux de la classe 1999 qui ne seront astreints à aucune obligation de service. L'effet moral de la gestion de la période de transition sur la dernière classe appelée n'a d'ailleurs pas été éludé par le général Douin, chef d'état-major des armées, lors de son audition par votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le 16 avril dernier.», «L'avenir du Service National», rapport n°349/1995-1996 de la commission de la Défense du Sénat, IV.B.1. Difficultés liées à la période de transition.
«Je pense qu'il serait bon, à tort ou à raison, de partir du principe que si armée de professionnels il doit y avoir, il faut que ce passage ait lieu en l'espace de quatre ans et non pas de six ans.
[...]
Je pense qu'il y aurait une ou deux grandes manifestations, suivies d'un recul du gouvernement quel qu'il soit.
Je crains fort qu'il faille partir du principe qu'on a peut-être quatre années devant nous, probablement pas six.»
,
François Heisbourg, audition devant la mission sénatoriale Vinçon.
«Enfin, elle a formulé les réserves les plus formelles tant sur la durée que sur les modalités de la période de transition de six années entre le service national actuel et ses formes nouvelles, telle qu'elle semble résulter de la loi de programmation. Seule l'institution d'un service civil obligatoire aurait été susceptible d'éviter tout désordre et risque d'inégalités, en permettant de poursuivre la recrutement régulier de toutes les classes d'âge au fil des ans - la montée en puissance progressive des formes civiles compensant la diminution parallèle, et à due concurrence, de l'option militaire -.
L'abandon de la solution du service civil obligatoire pose le problème en termes radicalement nouveaux.
Il est clair, en effet, que les armées sont dans l'incapacité d'accueillir, dans les six années qui viennent, les sursitaires actuels et futurs - que l'on songe, en particulier, à ceux qui feront partie de l'ultime classe appelée - ainsi que les appelés de six classes. Quel que soit le critère retenu pour revenir à des effectifs compatibles avec les capacités d'accueil, il en résultera des inégalités de traitement qui ne sont que trop aisément prévisibles et que la disparition programmée du service militaire ne fera qu'aviver.
Il a donc semblé à la mission que ces perspectives devraient logiquement conduire à une réduction de la période de transition, réduction qui, au delà de ses effets directs sur le service national, aurait des conséquences sur les modalités mêmes de mise en oeuvre de la loi de programmation.»
[SEG96]
Et des dizaines d'autres (Général Douin, Général Fassier etc.).
  Note 40     Il y a un adage très répandu, qui consiste à dire que «pour faire un service intéressant, il faut le préparer», et que tous les gens ayant fait un service intéressant vous répéterons avec fierté...
La véracité de cette formule est malheureusement la démonstration de l'inégalité face au service, et plus particulièrement face à l'information, entre ceux qui ont les moyens de se renseigner et d'effectuer les démarches administratives, et ceux qui ne les ont pas (combien de boulangers connaissent l'existence des CSNE? Alors que dans les grandes écoles, les offres de CSNE sont placardées avec les offres de stages, et tout le monde s'échange les informations sur les «bon plans CSNE»).
La mission Séguin ne s'y est pas trompée, en analysant les formes civiles du Service National: «D'où un premier constat: ce sont des jeunes bien informés qui entreprennent les démarches nécessaires.» [SEG96]
  Note 41     AFP, 21/07/2000: «Un jeune homme a tenté de se suicider hier pour échapper au service militaire, en se jetant d'une colline à Poligny (Jura). Originaire de Salais-les-Bains, cet ouvrier de 22 ans ne supportait pas la perspective de perdre son emploi. Il a chuté de 50m de haut sur un sentier situé en contrebas et souffre de multiples fractures.»
  Note 42     Alain Richard, Assemblée Nationale, le 21/06/00 (Puis confirmé par un communiqué de la Défense, du Permier Ministre etc.).
«Tous les jeunes titulaires d'un CDD ou d'un CDI bénéficient d'un report d'incorporation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).»
Ceci équivaut à une dispense, puisque les bénéficiaires en CDI obtiennent un report de 2 ans, indéfiniment renouvelable, qui les conduits après janvier 2003, et ils ne sont donc plus incorporables.
  Note 43     «Il est donc incertain que le service national ait une incidence positive sur les statistiques relatives au chômage des jeunes. Il n'est pas exclu qu'il joue un rôle négatif sur l'embauche et la recherche d'emploi des jeunes gens assujettis.», I.C.4.c) - rapport Vinçon, 1996.
«Plus vite la jeunesse s'insère et trouve une voie professionnelle qu'elle suivra, mieux c'est pour la nation, plutôt que de la faire attendre par un service volontaire pour passer le temps.», audition de M. Jean Fourré, président de la commission interministérielle des formes civiles du service national, audition pour la mission Vinçon, 1996.
  Note 44     Réponse du 20/07/2000 de Michel Sapin, à la fédération fonctionnaires FO qui s'insurgeait contre le caractère discriminatoire des dernières mesures:
«Les mesures qui ont été prises en faveur des jeunes ont pour objet de les protéger du risque du chômage à l'issue du service national [...]. Les fonctionnaires bénéficient de la garantie de l'emploi. Il n'y a donc pas de discrimination à leur égard.»
  Note 45     Loi 97-1019 portant réforme du code du SN. Article 4.I.1 et 2:
I. - l° Avant le premier alinéa de l'article L. 122-18 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé: «Le contrat de travail d'un salarié ou d'un apprenti, appelé au service national en application du livre II du code du service national, est suspendu pendant toute la durée du service national actif.»
I. - 2° Le premier alinéa de l'article L. 122-18 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée: «La réintégration dans l'entreprise est de droit.»